Jugement d'un jeune Parisien pour "propos alarmistes", 1918
Déposition et confrontation
Date : 5 avril 1918
Thème : censure, propos alarmistes, justice
Cote : D2U6 203
La déposition de cette femme et la confrontation avec le jeune homme de 18 ans qu’elle accuse de « propos antipatriotiques » montre au-delà du contrôle de la parole par les civils eux-mêmes, la suspicion, alors que la guerre a déjà fait de nombreuses victimes et mutilés, de civils embusqués.
Le 27 mars 1918, c’est la prise de Montdidier dans le Pas de Calais qui ouvre à l’armée allemande une voie sur Paris. Les Français en sont informés par le communiqué officiel de l’armée publié dans les journaux. C’est cette information que les ouvrières d’un atelier de couture étaient en train de commenter pendant qu’un jeune employé du gaz relevait le compteur. Le jeune homme est intervenu, notamment pour dire qu’il était passé entre les mailles de la mobilisation. Au-delà des autres propos qu’il rejette, il s’avère qu’il n’a pas pu être mobilisé à cause de sa constitution.
Après cette bravade, Il est arrêté sur plainte de la patronne de l’atelier de couture, détenu à la prison de la Santé et jugé pour avoir « le 27 mars 1918, proféré des informations relatives aux opérations militaires de nature à influencer d’une façon fâcheuse l’esprit des populations et à favoriser l’ennemi ». Il est condamné à deux mois de prison.
Transcription
« Dans la matinée du 27 mars, Lucien B., vint dans l’atelier que je dirige pour relever le compteur ; il y avait là 3 ouvrières qui tout en travaillant, parlaient des nouvelles du communiqué. B. se mêla à la conversation et montrant ses talons déclara que son patriotisme était là (dans ses chaussures). Pendant une 10zaine de minutes, il tint des propos les plus anitpatriotiques disant notamment « qu’il lui était indifférent d’être allemand ou français et qu’avant 15 jours l’ennemi serait à Paris, qu’on avait bien tort de se donner tout ce mal au front pour l’empêcher de passer. Il ajouté que jusqu’à présent il avait passé au travers (voulant dire qu’il n’avait pas été incorporé) et qu’il comptait bien faire de même jusqu’à la fin. »
Révoltée par ce cynisme, je lui ai demandé s’il travaillait pour la France ou pour les boches et finalement l’ai invité à sortir
Confrontation :
Nous faisons entrer l’inculpé B. à qui nous donnons connaissance de la déclaration qui précède.
Il dit : « Je n’ai pas prononcé toutes les paroles rapportées par le témoin, au surplus c’est sans penser un mot que j’ai tenu quelques propos déplacés. J’ai dit notamment qu’il m’était indifférent d’être boche ou français et que l’ennemi finirai peut-être bien par venir à Paris. Il est exact également que j’ai déclaré que jusqu’à présent j’avais réussi à ne pas aller au front mais à ce sujet je dois faire remarquer que j’ai été ajourné pour raison de santé et que je n’ai usé d’aucune fraude pour obtenir cet ajournement. »
Le témoin :
« Je maintiens en intégralité ma déclaration.»
Lecture faite, persistent et signent ».
Pistes pédagogique
- Faire relever le contexte, les personnes en présence et distinguer les différents types de propos.
- Analyser en quoi ces faits sont passibles de sanctions d’après le décret du 5 août 1914.
- Précisez pourquoi le jeune homme a été arrêté (plainte, contrôle des civils entre eux).
- Confronter ce document avec les autres portant les mêmes motifs d’accusation
Compléments
Le 27 mars 1918 : prise de Montdidier :
Loi du 5 août 1914 sur les indiscrétions de la presse en temps de guerre (Journal officiel 6 août 1914) :