Jugement d'un Parisien pour "propos alarmistes", 1918
Procès-verbal de confrontation
Date : 23 mars 1918
Thème : censure, propos alarmistes, justice
Cote : D2U6 203
Le décret sur la censure du 5 août 1914 interdit notamment dans les avis de décès par exemple, de citer les lieux de bombardements et le nombre de victimes, de produire des informations, dessins pouvant avoir une « fâcheuse influence » sur l’esprit de l’armée ou la population. Ces exemples s’appliquent aussi sur la population. Le cas de l'affaire reproduite ici en est l’illustration.
L’accusé est un homme de 54 ans, employé de nuit à l’agence Havas située place de la Bourse. Il a été arrêté alors qu’il racontait à un groupe de personnes sur cette même place qu’une bombe avait détruit un immeuble rue du Château-Landon, faisant 16 victimes. C’est un lieutenant d’aviation en uniforme qui, entendant cela, tente de le reprendre puis fait appel à un agent.
L’accusé a été arrêté, détenu à la prison de la Santé, jugé au tribunal de première instance le 16 avril 1918 et condamné à 15 jours de prison pour le motif suivant : « d’avoir à Paris, le 23 mars 1918, propagé une information de nature à exercer une influence fâcheuse sur l’esprit de l’armée et des populations, délit prévu par l’article 1 et de la loi du 5 août 1914 ».
Le procès-verbal ici présenté en relatant la confrontation entre le soldat et l’homme accusé, met en évidence le fil des évènements.
Transcription
« Est amené un individu disant se nommé C. (François) arrêté par le gardien de la paix P. (Emile, Noël) du 2e arrondissement sur réquisition du lieutenant D. (Jean) 27 ans de l’escadrille N-87 en permission, 2 rue de Clichy,
Qui déclare :
- Tout à l’heure, je me trouvais près d’un groupe de personnes stationnant place de la Bourse, près de la station du métro, lorsque j’ai entendu l’homme qui est arrêté dire : « les Allemands vont détruire Paris, ils ont lancé des bombes rue Château-Landon à 7h ½, il y a eu 16 personnes tuées ».
J’ai invité l’homme à se taire, il m’a répondu aussitôt : « qu’est-ce que vous foutez-là, vous devriez être au front »
Le gardien de la paix est arrivé aussitôt et je l’ai mis au courant de ce qui venait de se passer.
Et signe après lecture (Jean D., lieutenant pilote N-87)
Interpellé en présence du déclarant, le nommé C. répond
- J’ai dit que j’avais appris de l’agence Havas qu’une bombe était tombée rue de Château-Landon et qu’il y avait des victimes
- Je n’ai pas dit que les Allemands allaient détruire Paris. J’ai dit au lieutenant « Qu’est-ce que vous foutez là »
Le déclarant qui assiste à l’interpellation maintient intégralement ses déclarations.
Pistes pédagogiques
- Faire relever les faits présentés (avérés ou non) : l’accusé parle en pleine rue à un groupe de personne d’un bombardement et du nombre de victimes.
- Analyser en quoi ces faits sont passibles de sanctions, d’après le décret du 5 août 1914.
- Faire réfléchir sur les motivations des deux parties.
- Confronter ce document avec les autres portant les mêmes motifs d’accusation.
Complément
Loi du 5 août 1914 sur les indiscrétions de la presse en temps de guerre (Journal officiel 6 août 1914)